Seizième leçon : Le baquet de Mesmer Les abeilles

Avant de terminer la partie de ce livre consacrée aux séances publiques, il me faut vous parler encore de deux expériences qui produisent toujours un
grand effet, quand elle sont bien présentées.

Car mets-toi bien ceci dans la tête, cher élève, l’expérience n’est rien. Ce qui fait le charme de ta représentation magnétique, c’est la manière suggestive dont tu l’exécutes. Tu ne dois pas seulement exercer une influence sur tes sujets, mais tu dois encore l’exercer sur tes spectateurs. Ces derniers (si tu sais t’y prendre) suivront chacun de tes mouvements avec une curiosité qui s’avivera à chaque minute, et ils se demanderont toujours, avec une sorte d’angoisse, « ce que tu vas faire ».

Le Baquet de Mesmer est une de ces expériences, qui frappe l’imagination des spectateurs, surtout par ses préparatifs.

Un domestique amène sur la scène, ou dans la pièce qui te sert de théâtre, un immense baquet. Tu ne diras rien, garde-toi d’expliquer tout d’abord à quoi servira cet ustensile. Fais un signe, et, aussitôt, les domestiques apportent des seaux d’une eau limpide qu’ils jetteront de haut dans le baquet. Si tu as un piano, ton musicien peut, pendant tous ces préparatifs, jouer un air fougueux.

Quand le baquet est rempli d’eau, alors seulement tu t’avances devant tes spectateurs et leur expliques le but de ton expérience. Tu peux, si tu le veux (et si tu as besoin d’allonger la sauce), leur expliquer ce que fut Mesmer, un des précurseurs du Magnétisme, au siècle dernier, considéré comme un charlatan par les uns, comme un génie par les autres, et qui, s’il eut trouvé un Alexandre Dumas, eût été aussi célèbre que Cagliostro dont il fut le contemporain. Pour te documenter sur la question, tu n’auras du reste qu’à lire Histoire et Philosophie du Magnétisme par Rouxel.

Quand tu as parlé de Mesmer, tu parles de l’influence de l’eau limpide sur le regard, de l’attraction qu’elle exerce sur celui qui la fixe comme s’il fixait les yeux d’un magnétiseur. C’est cette attraction de l’eau, produite selon la Kabbale par les ondines, qui est la cause de nombreux suicides et de la noyade des pêcheurs et des baigneurs.

Au simple point de vue magnétique, l’eau produit sur la prunelle un effet nerveux qui l’amollit, amène des larmes d’abord (l’eau appelle l’eau) et ensuite un sommeil profond qui conduit le sujet vers le liquide qui l’attire.

Je répète une fois de plus que toutes ces explications doivent être données d’une voix chantante, musicale, et jamais sur un ton de conférencier ou de cicérone de musée public. Tu fais placer ensuite tes sujets autour du baquet, mais tu peux auparavant faire appel au public, et chercher quelques nouveaux sujets dans la salle pour cette expérience.

Tes sujets placés, ton pianiste joue une mélodie très douce et très prenante. Chacun d’eux fixe l’eau attentivement et, tout en te promenant de long en large, tu parles, toujours de ta voix chantante : « L’eau commence à faire son effet, vos yeux s’obscurcissent, les larmes coulent de vos yeux, le sommeil arrive. Vous allez dormir, dormir, dormir. Il faut que vous dormiez. » Ces paroles ne sont pas définitives, tu peux, cher apprenti magnétiseur, dire ce que tu voudras, pourvu que tu parles, que tu parles continuellement jusqu’à l’arrivée du sommeil.

Le résultat, d’ailleurs, ne se fait pas longtemps attendre. En quelques minutes, tes sujets dorment, et généralement l’un d’eux pique une tête dans le baquet, à la grand hilarité des spectateurs un peu angoissés par le commencement de l’expérience.

Je parlerai dans un prochain chapitre des états d’âme que tu peux provoquer chez des sujets sensitifs, et qui, au cours d’une séance de magnétisme, te procureront quelques numéros intéressants. Là, tes sujets opéreront individuellement, mais puisqu’aujourd’hui tu en as quatre sous la main, n’oublie pas la suggestion des abeilles qui, théâtralement, produit toujours une profonde sensation. Tu annonces à tes sujets que tu les conduis chez un apiculteur, afin de leur faire visiter de nouvelles ruches très intéressantes. A ce moment, un incident se produit. L’apiculteur a fait sortir les abeilles, lesquelles, épouvantées par la présence de tous ces étrangers, se précipitent sur eux, décidées à leur faire un mauvais parti : « … Préservez vos yeux, cries-tu à tes sujets épouvantés et retirez-vous doucement, et à reculons. »